Auteur invité : Dr. Hans Maurer (spécialiste des toxines environnementales)
Dans les deux derniers articles (Aperçu de l’abeille sauvage en Suisse et autorisation des PPP à la lumière de la protection des abeilles sauvages), nous avons expliqué pourquoi les abeilles sauvages sont menacées par les produits phytosanitaires. Nous examinons ici leur vulnérabilité aux biocides Ces derniers ne doivent pas non plus être négligés, bien qu’ils soient globalement appliqués sur des surfaces plus petites que les produits phytosanitaires et qu’ils aient donc moins d’impact sur la surface.
Les biocides sont des substances utilisées pour détruire tout organisme nuisible pour l’homme. Elles sont régies par le règlement sur les produits biocides. Les produits phytosanitaires ne font pas partie des biocides, car ils font l’objet d’une réglementation séparée (ordonnance sur les produits phytosanitaires).
Les biocides permettent de lutter contre les fourmis, les araignées, les rongeurs à l’intérieur et à l’extérieur des bâtiments, les moustiques, les mouches, les coléoptères, les mites des vêtements et des aliments dans les bâtiments, les moisissures dans les façades et les constructions en bois, les bactéries et les virus sur les surfaces.
Le problème particulier des biocides est qu’ils sont surtout utilisés dans les zones urbaines, où la biodiversité des abeilles sauvages est encore relativement élevée par rapport aux terres agricoles cultivées de manière intensive. Ces refuges pour les abeilles sauvages sont donc également affectés.
La plupart des biocides contre les insectes et les araignées sont particulièrement dangereux pour les abeilles sauvages, en particulier ceux contre les fourmis, car celles-ci (en tant qu’hyménoptères) sont étroitement liées à l’environnement.
Contrairement aux vendeurs de produits phytosanitaires, les distributeurs de biocides ne sont pas tenus jusqu’à présent d’indiquer les quantités de substances actives qu’ils ont vendues aux consommateurs en Suisse l’année dernière. Il n’existe donc à ce jour aucune vue d’ensemble des biocides déversés dans l’environnement et aucune possibilité d’évaluer leur impact sur l’environnement. Selon les estimations, « plusieurs centaines de tonnes » de biocides sont épandues chaque année dans les zones urbaines et dans l’agriculture (environ 2’000 tonnes de produits phytosanitaires), mais les simples indications de quantité doivent être considérées avec prudence, car la toxicité des différentes substances pour les abeilles sauvages et d’autres animaux peut varier d’un facteur 10’000 ou plus. Par exemple, le fameux insecticide et poison pour les abeilles « Imidacloprid », interdit comme produit phytosanitaire en plein air depuis 2019, mais toujours autorisé comme biocide, est 27 000 fois plus toxique que le soufre mouillable, autorisé comme fongicide et acaricide [2].
Avec une quantité totale vendue estimée entre 1 et 12 t/an, les pyréthroïdes, connus comme poisons lourds pour les abeilles, ont dominé le marché des biocides pour la lutte contre les insectes. La perméthrine était le pyréthroïde le plus vendu (voir tableau 2). Elle a une valeur DL50 très basse (c’est-à-dire dangereuse) de 0,06 microgramme par abeille.
L’Allemagne a déjà introduit pour le 1er janvier 2022 une obligation de notification des quantités vendues pour les vendeurs de biocides. Il semble que la Suisse devrait bientôt suivre cet exemple (modification de l’ordonnance sur les produits biocides).
L’une des grandes lacunes de l’examen d’autorisation des biocides réside dans le fait qu’il n’est pas du tout nécessaire de vérifier si ceux-ci sont dangereux pour les abeilles mellifères, et encore moins pour les abeilles sauvages ou d’autres arthropodes utiles. Ici aussi, on peut dire que rien ne vient de rien : tant qu’une telle prescription ne figure pas dans la loi sur les produits chimiques ou dans l’ordonnance sur les produits biocides, aucun contrôle n’est effectué. En outre, les autorités suisses ne font que reprendre les rapports d’examen de l’UE, et donc leurs erreurs, même pour les biocides.
La réglementation des produits chimiques a ceci de particulier que les évaluations sont extrêmement coûteuses pour les autorités. Ainsi, les dossiers relatifs aux produits phytosanitaires peuvent rapidement atteindre 100 classeurs fédéraux. Les autorités suisses ne sont pas en mesure de mettre un tant soit peu d’ordre dans ce domaine, notamment parce que le législateur ne leur accorde qu’un personnel réduit. La situation est similaire dans l’UE. L’exemple le plus récent est celui des « PFAS » (composés alkylés per- et po-lyfluorés), dont l’énorme toxicité pour l’homme et l’animal n’a été reconnue qu’après des décennies. D’autres cas suivront. Le domaine des biocides est particulièrement dangereux, car les tests y sont obsolètes et incomplets, et pas seulement du point de vue de la protection des abeilles sauvages.
Il est urgent que l’autorisation des biocides soit également soumise à au moins un examen, comme c’est le cas pour les produits phytosanitaires. En outre, il est grand temps que les substances actives qui ont été interdites en tant que produits phytosanitaires dans l’agriculture soient également retirées de la circulation en tant que biocides.
Mais l' »antidote » le plus efficace est sans doute l’introduction d’une responsabilité produit et environnementale plus stricte pour les fabricants et les vendeurs de produits toxiques pour l’environnement, comme c’est le cas aux États-Unis. Dans ce pays, 200 millions de personnes souffrent actuellement d’une contamination de l’eau potable par les PFAS et le fabricant de PFAS 3M doit faire face à des frais de justice et de responsabilité civile d’un montant de 140 milliards de dollars [3]. En Suisse et dans l’UE, en revanche, le droit de la responsabilité du fait des produits et de l’environnement est « favorable à l’économie ». C’est l’Etat et les contribuables, et non les actionnaires, qui supportent les coûts consécutifs.
Sources :
[1] SCNAT, Pestizide: Auswirkungen auf Umwelt, Biodiversität und Ökosystemleistungen, Vol. 16, No. 2, 2021, S. 3, siehe: https://www.eawag.ch/fileadmin/Domain1/Forschung/Oekosysteme/Biodiversitaet/pestizide_und_biodiversitaet.pdf
[2] LD50oral Netzschwefel > 10-4 g pro Biene; LD50oral Imidacloprid 3.7 10-9 g pro Biene; 10-4 : 3.7 10-9 = 27’000; siehe zu Imidacloprid: https://bienenuntersuchung.julius-kuehn.de/index.php?menuid=84; siehe zu Netzschwefel: https://www.staehler.ch/_default_upload_bucket/prosulf_-d-.pdf
[3] Sous la pression de tels recours, trois fabricants ont proposé le 2 juin 2023 de fournir un fonds d’atténuation des dommages d’un montant de 1,9 milliard de dollars. Siehe: https://www.nytimes.com/2023/06/02/business/pfas-pollution-settlement.html