Auteur invité : Dr. Hans Maurer (spécialiste des toxines environnementales)
Les abeilles sauvages, les guêpes et les fourmis constituent l’ordre des insectes Hyménoptères, dont 1400 espèces (ainsi que 1900 espèces de guêpes parasites) ont été identifiées à ce jour en Suisse, dont environ 620 sont des abeilles sauvages [1]. Cependant, même les meilleurs experts n’ont guère vu plus de 400 espèces d’abeilles sauvages différentes au cours de leur vie, car 57 sont déjà éteintes, 220 sont menacées d’extinction ou en danger et 58 sont potentiellement menacées. Au total, 55 % des espèces sont en mauvais état. Les hyménoptères sont un groupe écologique clé dont l’importance est capitale pour la structure et le fonctionnement des écosystèmes terrestres[2]. Sans les hyménoptères, d’une part, la plupart des plantes à fleurs ne pourraient plus exister et, d’autre part, les autres plantes telles que les plantes à fleurs autopollinisantes et les graminées comme le blé ou le riz ne pourraient guère survivre, car les hyménoptères jouent un rôle important en tant qu’antagonistes des insectes nuisibles. En bref, ni les hommes ni les animaux ne pourraient vivre sur terre s’il n’y avait pas d’hyménoptères !
C’est un truisme de dire que les « abeilles » sont menacées par les pesticides. En disant cela, on pense généralement à l’abeille mellifère, qui peut être empoisonnée par les produits phytosanitaires utilisés dans l’agriculture. La situation est toutefois plus complexe : les populations d’abeilles mellifères sont relativement peu menacées, car les abeilles mellifères, en tant qu’animaux d’élevage, peuvent facilement se reproduire. Si une colonie meurt d’empoisonnement, l’apiculteur en achète une nouvelle. Si elles manquent de nourriture, elles sont nourries avec de l’eau sucrée.
Il en va tout autrement pour les « 1399 » autres abeilles sauvages, guêpes et fourmis suisses, qui doivent survivre en se débrouillant toutes seules.
Les pesticides ne sont pas la seule cause du fait qu’une grande partie des hyménoptères indigènes sont menacés ou ont déjà disparu. Le fait que le nombre et la diversité des plantes à fleurs aient énormément diminué au cours des dernières décennies joue également un rôle important. Notamment en raison de la surfertilisation de l’ensemble du pays par des composés azotés atmosphériques, comme l’ammoniac issu de l’élevage à outrance ou les oxydes d’azote provenant du trafic routier. Certes, la plupart des plantes à fleurs aiment les engrais azotés, mais la croissance est particulièrement stimulée par les graminées qui occupent rapidement l’espace disponible et privent les plantes à fleurs de leur source d’énergie (lumière du soleil) en leur faisant de l’ombre. Nos écosystèmes de prairies, autrefois si riches, souffrent d' »obésité fertilisante » (voir fig. 3).
Lorsque l’on parle de pesticides, il faut entendre par là : les produits phytosanitaires destinés à l’agriculture (ci-après également « PPh ») et les biocides destinés à d’autres usages tels que la protection du bois, la protection des façades ou le poison pour les fourmis (ci-après « biocide »). Les produits phytosanitaires et les biocides sont tous deux réglementés par des législations distinctes. La réglementation des produits phytopharmaceutiques se trouve dans l’ordonnance sur les produits phytopharmaceutiques (PSMV), celle des biocides dans l’ordonnance sur les produits biocides. Le Conseil fédéral a copié presque mot pour mot toute la législation de l’UE. Les dysfonctionnements qui y ont été créés sont perpétués en Suisse.
Les PPh et les biocides doivent être autorisés par l’administration fédérale avant d’être vendus en Suisse. L’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV) est responsable de l’autorisation des PPh, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) de celle des biocides. Plusieurs autres offices fédéraux interviennent en amont de l’autorisation en tant qu’organes d’évaluation, par exemple l’Office fédéral de l’environnement pour les questions de protection des eaux. Le Conseil fédéral a modifié les compétences en matière d’autorisation des PPh pour 2022, en raison de dysfonctionnements massifs au sein de l’ancien Office fédéral de l’agriculture (OFAG). L’OFAG a toutefois réussi à continuer d’évaluer les « effets des produits phytosanitaires sur les espèces non-cibles, la fertilité du sol et les abeilles dans les surfaces agricoles traitées » (art. 72c, let. b, OPPh). C’est précisément l’OFAG, qui a largement ignoré la protection des hyménoptères au cours des dernières décennies, qui a continué à se voir attribuer cette compétence importante. En d’autres termes, on a continué à charger le bouc d’être le jardinier. Cela concerne aussi tout particulièrement les abeilles sauvages.
Cette conception de l’organisation administrative au sein de la Confédération explique en grande partie pourquoi les abeilles sauvages (et autres hyménoptères) sont peu nombreuses dans les zones d’exploitation agricole intensive, alors qu’elles sont relativement fréquentes dans les agglomérations et les villes.
[1] S’y ajoutent 1900 espèces d’ichneumons. En entier: SCNAT, Diversité des insectes en Suisse, dans: Vol. 16, No. 9, 2021, S. 17, siehe: https://api.swiss-academies.ch/site/assets/files/36807/210822_report_insekten_d_printsm2.pdf
[2] https://www.stadtgaertnerei.bs.ch/dam/jcr:672482b3-0df0-4355-936f-95fc27c9a69c/2022-05-01_Brosch%C3%BCre_Willkommen%20Wildbiene.pdf