Abeilles sauvages et pesticides, partie 2 : autorisation des produits phytosanitaires à la lumière de la protection des abeilles sauvages

Après avoir montré dans le premier article de cette série en trois parties que les pesticides posent surtout un gros problème aux abeilles sauvages et non mellifères, nous nous penchons dans cet article plus précisément sur l'autorisation des produits phytosanitaires sous l'angle de la protection des abeilles sauvages.
Figure: 1 : les terres cultivées de manière intensive, comme le champ de colza illustré ici, sont un puits biologique pour les abeilles sauvages.
août 10, 2023

Auteur invité : Dr. Hans Maurer (spécialiste des toxines environnementales)

  1. Produits phytosanitaires et abeilles sauvages : Les dommages sont sciemment acceptés

L’ordonnance sur les produits phytosanitaires (OPPh) ne pose pas d’exigences concrètes pour la protection des abeilles sauvages, ni pour celle des guêpes et des fourmis contre l’empoisonnement. La seule règle qui s’applique est celle, très générale et souvent trop légère, selon laquelle l’utilisation dans les cultures agricoles ne doit pas entraîner la mort de plus de 30 % des arthropodes utiles (dont font partie les abeilles sauvages).

Et même si plus de 30 % meurent, une autorisation peut tout de même être accordée en vertu de l’OPPM si le requérant « apporte la preuve pratique, par une évaluation appropriée des risques, que l’utilisation du produit phytosanitaire dans les conditions proposées n’a pas d’effets inacceptables sur les organismes concernés » [1].

Dans la pratique, cette preuve est reconnue comme étant apportée si le champ, le vignoble ou le verger traité pourrait être recolonisé par des abeilles sauvages ou d’autres insectes utiles un an après l’application du pesticide. Jusqu’à un an, le sol peut donc rester empoisonné par des PPP persistants de manière à tuer les insectes qui souhaiteraient s’y installer. Avec cette pratique, le terrain cultivé traité devient un puits biologique (on pourrait aussi dire un « piège mortel ») qui attire les abeilles sauvages de la zone non empoisonnée et réduit continuellement les populations qui s’y trouvent (voir fig. 1).

Cette recommandation aux autorités d’autorisation (c’est tout ce qu’il y a à dire) a été créée dans l’UE il y a plus de 20 ans par les lobbyistes de l’agrochimie et est consignée dans un « Guidance Document » de l’association internationale SETAC [2]. Ni le législateur de l’UE ni celui de la Suisse ne l’ont jamais intégrée dans le droit normatif. Néanmoins, les autorités d’homologation l’appliquent obstinément dans le cadre du processus d’autorisation afin d’interdire le moins de pesticides possible, aussi nocifs soient-ils pour les abeilles sauvages. Jusqu’à présent, même la disparition des insectes n’a rien changé à cette situation.

5. Les tests de toxicité pour les abeilles mellifères ne protègent que marginalement les abeilles sauvages

Jusqu’à présent, seules les abeilles mellifères (Apis mellifera) ont fait l’objet d’un examen dans le cadre de la procédure d’autorisation des PPP, conformément à l’OPPM. Les tests toxicologiques permettent d’abord de déterminer les valeurs LD50, c’est-à-dire la quantité de poison à partir de laquelle la moitié des abeilles testées meurent. Cela se fait d’une part pour l’absorption orale de la substance active (alimentation avec de l’eau sucrée empoisonnée) et d’autre part pour le contact avec la substance active (application de la substance active sur le corps de l’abeille). Ensuite, un étrange calcul permet de déterminer un quotient de risque (appelé « QR »). Pour ce faire, la quantité de substance active par hectare (en grammes) indiquée par le demandeur pour le PPP est divisée par la valeur LD50 (en microgrammes, µg) (ce qu’on appelle le test Tier I). Si, par exemple, 30 grammes doivent être appliqués par hectare et que la valeur LD50 est de 0,5 µg par abeille, on obtient un QH de 60 (= 30/0,5).

Si un PPS a un QH supérieur à 50, il ne peut en principe pas être autorisé, à moins qu’il ne soit prouvé par d’autres essais que les abeilles ne sont malgré tout pas menacées (ce qu’on appelle l’examen Tier II). Il existe ici une grande marge d’interprétation que les demandeurs de produits phytosanitaires savent utiliser à leur avantage, notamment parce qu’ils peuvent et doivent effectuer eux-mêmes tous les tests conformément à l’OPPM. Il est également possible que les autorités interdisent l’utilisation de pesticides pendant la période de floraison des plantes (exemple le plus important : le colza), afin que les abeilles mellifères ne soient pas intoxiquées.

Le test de toxicité pour les abeilles mellifères ne sert malheureusement que marginalement à la protection des abeilles sauvages. Ainsi, il n’est pas tenu compte du fait que 80 % des abeilles sauvages, comme par exemple l’abeille étroite présentée dans le dernier article (https://ohnegift.ch/2023/07/13/wildbienen-teil-1/), nichent dans le sol et se trouvent donc également dans des cultures où les insecticides toxiques ne peuvent pas être utilisés (uniquement) pendant la période de floraison (ci-dessus) pour protéger les abeilles mellifères.

La différence de sensibilité des abeilles mellifères et des abeilles sauvages aux substances actives toxiques n’est pas non plus prise en compte. Cela peut tout à fait être de l’ordre de grandeur, comme le montrent les tests effectués sur d’autres insectes. Les petits changements de population sur une longue période ne sont pas un sujet, même pour les abeilles mellifères. Or, cela est particulièrement important pour les abeilles sauvages. Une diminution annuelle de « seulement » 2 % d’une population d’abeilles sauvages signifie déjà qu’elle se réduit de 60 % en 45 ans (voir figure 2). La Terre existe depuis 4,5 milliards d’années, l’homme depuis 200’000 ans. Combien de temps l’homme « moderne » pourra-t-il encore pratiquer l’agriculture actuelle sans détruire les hyménoptères et finalement lui-même ?

Figure: 2 : Diminution de la population en cas de réduction annuelle au fil du temps.

Les ventes et donc l’utilisation de produits phytosanitaires sont recensées chaque année par l’Office fédéral de l’agriculture. Les produits phytosanitaires chimiques de synthèse ou certains produits issus de sources naturelles, particulièrement nocifs pour les abeilles (sauvages), sont répandus dans l’environnement à hauteur d’environ 10’000 kilogrammes en moyenne annuelle [3]. Cette quantité suffit pour traiter une surface de 300’000 hectares [4], mais la surface effectivement traitée est plus petite, car on pulvérise plusieurs fois par an, notamment dans les cultures de fruits et de légumes, où l’on utilise particulièrement beaucoup d’insecticides. Ainsi, il se peut que moins de 100 000 ha soient finalement pulvérisés avec des insecticides. Toutefois, l’utilisation se concentre sur les plaines ou les vignobles, de sorte que l’on estime qu’environ un dixième de la surface y est traitée chaque année avec des insecticides. Personne ne l’a encore étudié scientifiquement, mais une telle exposition n’est guère anodine pour les populations d’abeilles sauvages. La grande vulnérabilité des abeilles sauvages parle d’elle-même. Une lueur d’espoir peut tout de même être constatée : au cours des dix dernières années, plusieurs poisons lourds pour les abeilles, comme les néonicotinoïdes et les organophosphates, ont été retirés de la circulation. En outre, l’insecticide « Sulfoxaflor », semblable aux néonicotinoïdes, a été autorisé dans l’UE uniquement pour l’utilisation dans les serres (en suspens en Suisse). Cependant, de nouveaux insecticides très toxiques pour les abeilles sont régulièrement annoncés pour autorisation. Actuellement, le « Cyantraniliprol », un poison lourd pour les abeilles, est en cours d’autorisation.

Il est clair que sans la résistance de la société civile dans l’UE et en Suisse contre les poisons pour abeilles et autres pesticides nocifs, la situation serait bien pire.

Sources :

[1] Annexe 9CI-2.5.2.4 PSMV (Risques pour les autres arthropodes utiles)

[2] SETAC, Guidance Document on Regulatory Testing and Risk Assessment Procedures for Plant Protection Products with Non-Target Arthropods, Wageningen (NL), 21. – 23. März 2000.

[3] https://www.blw.admin.ch/blw/de/home/nachhaltige-produktion/pflanzenschutz/verkaufsmengen-der-pflanzenschutzmittel-wirkstoffe.html

[4] Pour une quantité moyenne de substance active par hectare de 30 g.

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