Les données sur la toxicité pour les hommes, les animaux et les plantes, peuvent être collectées et évaluées par les fabricants de pesticides eux-mêmes. Eux seuls décident des informations que recevront ou non les autorités d’homologation. Le public et les services environnementaux cantonaux eux-mêmes, par ex. les services de protection des eaux, ne voient jamais les informations que les autorités d’homologation reçoivent: secret commercial.
Ceux qui recueillent les données, les évaluent et en disposent ont un grand pouvoir. Pas besoin d’une falsification manifeste des données pour dépeindre une situation différente de ce qu’elle est en réalité. Car pour toute corrélation compliquée, il y a des questions d’interprétation. Ainsi, lorsque que six poissons qui participent à un essai sur les pesticides deviennent malades, pour trois d’entre eux on peut attribuer d’autres causes. Et le résultat s’améliore de suite. Les autorités d’homologation de l’UE ou l’administration fédérale suisse ne peuvent pas vérifier ces données avec leurs propres essais parce que cela nécessiterait plus de ressources que ne leur en accorde la politique.
Mais de nombreux aspects problématiques ne sont même pas examinés. Par exemple la toxicité sur les amphibiens qui font partie des espèces les plus menacées. Les amphibiens sont très sensibles aux insecticides et aux fongicides. En raison de ces poisons, ils ne peuvent plus se reproduire aussi bien et leurs populations continuent de diminuer. En Suisse, 80 % des espèces d’amphibiens sont déjà en danger, menacées d’extinction ou éteintes. De plus, tous les contrôles de toxicité concernant les organismes aquatiques ne sont effectués qu’en laboratoire dans un bassin artificiel et seulement avec quelques espèces (par ex. daphnies et poissons). Avec ces résultats, des conclusions sont tirées pour tous les animaux présents dans les eaux alors que les différentes espèces ont des sensibilités différentes aux substances toxiques. Et les testeurs ne tiennent pas compte du fait que de nombreux pesticides contiennent plusieurs substances actives. Leurs effets toxiques peuvent non seulement se cumuler, mais aussi augmenter de manière exponentielle. Pourtant, cela n’est pratiquement jamais testé.
Pour de nombreuses substances actives, il ressort pourtant clairement des données qu’elles sont très nocives pour les organismes aquatiques, les organismes du sol ou les insectes. Et il est également clair qu’ils ne devraient pas être (davantage) approuvés selon la réglementation en vigueur. Mais les autorités adoptent une attitude nonchalante face au problème: ils admettent que les organismes aquatiques et les insectes sont massivement tués mais ils espèrent simplement que les populations restantes se rétabliront avec le temps. C’est un immense sophisme et c’est faux! Les populations d’insectes et d’organismes aquatiques ne pourraient se rétablir que si la possibilité était donnée d’immigrer à partir d’eaux ou de régions non polluées. Malheureusement, de telles eaux et régions n’existent déjà plus depuis longtemps car les pesticides sont partout: on en trouve même dans des vallées reculées et des réserves naturelles.
Le pouvoir des grands groupes est si énorme qu’ils peuvent se permettre de plaider sans fin et de manière onéreuse contre les interdictions. La Cour de justice de l’Union européenne a tout récemment confirmé l’interdiction de pesticides nuisibles aux abeilles, contestée par Syngenta et Bayer Crop Science. Le processus a duré huit ans et coûté des millions.
Le principe de précaution, si important en Suisse, selon lequel les impacts doivent être limités à un stade précoce s’ils risquent d’être nocifs pour les hommes et l’environnement, est largement ignoré dans le cas des pesticides. C’est la seule explication par exemple au fait que deux douzaines de pesticides toxiques pour la reproduction humaine, dont le volume des ventes atteint plus de 100 tonnes par an en Suisse, sont encore autorisés. La contamination permanente des petits cours d’eau est connue depuis des années. Même si la base juridique pour un retrait d’autorisation existe déjà dans le système de régulation, les autorités n’ont pas encore réussi à retirer ces poisons du marché.
Aujourd’hui, l’autorisation pour un pesticide est délivrée par l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG). L’OFAG est également compétent pour le réexamen, et si nécessaire l’interdiction, des pesticides déjà autorisés. Concernant les question environnementales, les décisions sont prises techniquement par Agroscope. Agroscope est un centre de compétences de la Confédération qui dépende de l’OFAG. Les aspects de santé sont évalués par le SECO (sécurité au travail) et l’Office fédéral de la sécurité alimentaire et des affaires vétérinaires (OSAV). Le rôle de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV) est resté jusqu’à présent marginal: il peut déterminer quelles mises en garde doivent figurer sur l’étiquette d’un pesticide.
L’OFAG n’est pas compétent que pour les autorisations de pesticides, mais aussi pour la promotion de la production agricole. Comme plus de pesticides et des pesticides plus toxiques pourraient augmenter la production pendant un certain temps, l’OFAG se trouve dans un sérieux conflit d’intérêt. Comme il contrôle en même temps le centre de compétences Agroscope, une évaluation indépendante n’est pas possible. Le Conseil fédéral a au moins reconnu qu’un changement était nécessaire: à partir de 2022, ce n’est plus l’OFAG mais l’OSAV qui sera responsable de l’approbation des pesticides. Le rôle de l’OFEV sera aussi renforcé. Reste à voir comment le processus d’homologation sera mis en œuvre à l’avenir. D’importantes lacunes subsistent.