L’association ohneGift demande :
Les amphibiens doivent être considérés comme un groupe à risque spécifique lors de l’autorisation des produits phytosanitaires et autres pesticides. L’UE et la Suisse doivent agir pour protéger efficacement les amphibiens.
A l’aise dans l’eau comme sur terre
La classe des amphibiens comprend les grenouilles, les crapauds, les tritons et les salamandres.[1] Les amphibiens vivent dans l’eau (habitats aquatiques) et sur la terre ferme (habitats terrestres). Le développement individuel se déroule en deux phases de vie, d’où son nom (du grec: amphi-bios = « qui vit dans deux éléments »). Les amphibiens subissent ce que l’on appelle une métamorphose, bien connue chez les grenouilles: les parents pondent leurs œufs dans l’eau, des têtards à respiration branchiale en sortent et se développent en grenouilles à respiration pulmonaire (métamorphose). Même à l’âge adulte, les amphibiens ont besoin d’un habitat avec un taux d’humidité élevé.
Les amphibiens font partie des animaux les plus menacés en Suisse, 15 espèces sur 19 figurent sur la liste rouge.[2] Une espèce est éteinte en Suisse, six sont en danger et huit sont vulnérables. Les causes vont de la perte d’habitat aux maladies et aux substances toxiques, en passant par le changement climatique. [2] Le danger que représentent les produits phytosanitaires est clairement sous-estimé. Ces produits se retrouvent dans les eaux et les sols et peuvent y perturber le développement des animaux, modifier leur comportement ou les tuer. [3]
Pas d’évaluation des risques pour les amphibiens
Malgré leur vulnérabilité aux produits phytosanitaires, le risque pour les amphibiens n’est pas suffisamment étudié lors de l’homologation des pesticides. Lors de l’évaluation des risques, il est supposé, par commodité, que les amphibiens sont comparables aux poissons.[4] Pourtant, les amphibiens diffèrent fondamentalement des poissons – dans leur développement, leur mode de vie et surtout dans la manière dont ils sont exposés aux produits phytosanitaires et autres polluants.[3] Ainsi, la peau des amphibiens est hautement perméable et les polluants peuvent pénétrer plus facilement dans l’animal.[3] À cela s’ajoute leur développement en deux phases : des stades larvaires dans l’eau, suivis de phases terrestres chez les jeunes et adultes (voir encadré « Exposition aux pesticides à différents stades de la vie »). Les deux phases présentent des risques d’exposition différents qui, à ce jour, sont largement ignorés dans l’évaluation des risques.[9]
Exposition aux pesticides à différents stades de la vie
De nombreuses espèces d’amphibiens se reproduisent dans de petits plans d’eau, souvent à proximité de zones d’agriculture intensive. Là, les têtards peuvent déjà entrer en contact avec les pesticides. Après la métamorphose, les animaux se déplacent à travers les champs, le long de leurs bordures et dans les prairies, où ils sont à nouveau en contact avec des résidus dans le sol, dans les plantes ou dans l’organisme de leurs proies.[3]
Comme la plupart des espèces d’amphibiens sont nocturnes[5], elles sont particulièrement menacées lorsque les produits phytosanitaires sont appliqués le soir. Le contact direct avec des produits chimiques fraîchement répandus peut entraîner des dommages graves, tels que des changements de comportement, des troubles de la reproduction ou une mortalité accrue.[3]
Sensibilité des amphibiens face aux produits phytosanitaires
Les résultats de la recherche scientifique sur le sujet ne permettent pas d’avoir une vision uniforme de l’ampleur du risque que représentent les produits phytosanitaires et autres pesticides pour les amphibiens en comparaison aux poissons:
- Certaines études[6],[7] arrivent à la conclusion que les amphibiens ne sont pas plus sensibles que les poissons et que les niveaux de toxicité sont similaires. Il est toutefois reproché que nombre de ces études aient été menées sur la Xénope lisse (Xenopus laevis) – une espèce de grenouille qui n’est pas présente en Suisse et dont la pertinence pour les amphibiens indigènes est donc limitée. De plus, selon une autre étude, les amphibiens indigènes sont environ dix fois plus sensibles que la Xénope lisse.[8] La critique porte également sur le fait que les études se concentrent exclusivement sur les stades de développement aquatiques des amphibiens, alors qu’ils sont également en contact avec les pesticides durant leurs phases terrestres (voir encadré « Exposition aux pesticides à différents stades de vie »).
- D’autres études montrent que les amphibiens sont plus sensibles aux produits phytosanitaires que les poissons. Par exemple, il a été constaté[8] que, par rapport aux poissons, les amphibiens subissent plus souvent des dommages affectant leur survie – comme des changements de comportement et des troubles de la reproduction – qui réduisent à long terme la capacité de survie des populations. Dans une autre étude[9], le chlorpyrifos et l’atrazine ont provoqué des réactions toxiques chez les amphibiens à des concentrations considérées comme inoffensives pour les poissons. Les amphibiens sont particulièrement vulnérables en raison de la perméabilité de leur peau.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA)[3] a consulté un total de 150 publications scientifiques sur les dangers des produits phytosanitaires pour les amphibiens et a conclu que de nombreux pesticides autorisés sont hautement toxiques pour les amphibiens. En particulier dans la phase de vie terrestre, l’évaluation actuelle des risques pour les produits phytosanitaires serait insuffisante. En outre, l’EFSA souligne que les études menées jusqu’à présent n’ont souvent porté que sur quelques espèces emblématiques dans des conditions standard. Pour évaluer avec certitude le danger, il faudrait mener davantage d’études de terrain dans des conditions réalistes. L’interaction entre plusieurs pesticides devrait également être davantage prise en compte.
En résumé, la sensibilité des animaux varie en fonction de l’espèce et du stade de développement, et les facteurs liés à l’origine géographique et au patrimoine génétique jouent un rôle. En général, les œufs et les larves sont plus sensibles que les adultes. Des études à long terme sont importantes pour appréhender les effets chroniques. De plus, il faut des méthodes de test standardisées, spécialement adaptées aux amphibiens et dont la validité a été vérifiée.[3]
Des substances actives particulièrement nocives
Une étude menée par l’EFSA[3] a permis d’identifier des substances actives particulièrement problématiques. L’atrazine (interdite en CH depuis 2012, mais à l’exportation seulement depuis 2021)[10] est associée à des troubles hormonaux et à la transformation sexuelle. Les fongicides pyraclostrobine, trifloxystrobine et propioconazole augmentent la mortalité des têtards. Le glyphosate peut également avoir un impact négatif sur le comportement et le taux de survie des amphibiens. Le chlorpyrifos (interdit en CH depuis 2020) endommage le système nerveux et augmente la mortalité des têtards. Les pyréthroïdes sont particulièrement préoccupants – ils sont toxiques en quantités infimes, surtout si des facteurs de stress environnementaux supplémentaires s’y ajoutent.
Clarifications sur les directives en suspens depuis plus de 10 ans
L’UE a reconnu le problème dès 2010 – depuis, il est envisagé d’élaborer une directive spécifique sur l’évaluation des risques des produits phytosanitaires pour les amphibiens.[3] Mais dix ans plus tard, on ne constate guère de progrès.
Plusieurs raisons expliquent ce retard. D’une part, il manque toujours des méthodes de test standardisées pour les amphibiens, ce qui rend le développement d’une base d’évaluation uniforme difficile. En 2018[3], l’EFSA a constaté dans un rapport complet qu’il existait d’importantes lacunes dans les connaissances sur les effets des pesticides sur les amphibiens. Elle a recommandé le développement de mesures de protection et de tests spécifiques, mais aucune réglementation concrète n’a encore été mise en place.
D’autre part, l’industrie chimique joue également un rôle. Selon l’organisation Pesticide Action Network PAN Europe (2024)[11], les groupes d’intérêt de l’agrochimie tentent d’étendre les dérogations existantes et de retarder les exigences environnementales plus strictes – par exemple en exigeant des clarifications et des études supplémentaires. Selon PAN Europe, les processus politiques sont ainsi délibérément prolongés.
Une publication de 2004 illustre à quel point l’influence de l’industrie peut être problématique.[12] Selon l’auteur de l’étude, les études sur les effets de l’herbicide atrazine sur les grenouilles ont été conçues par l’industrie de telle sorte qu’elles ne permettent pas de tirer des conclusions claires. De plus, il existerait un lien entre l’origine des fonds de recherche et les résultats des études, ce qui fragilise encore davantage la confiance dans la recherche financée par l’industrie.
Il y a manifestement un manque de volonté politique pour aborder le sujet.
Conclusion
La recherche montre que de nombreuses espèces d’amphibiens sont plus sensibles aux produits phytosanitaires et autres pesticides que les poissons – avec des conséquences telles que des troubles du développement, des changements de comportement ou une mortalité accrue. Bien que ce problème ait été reconnu au sein de l’UE il y a plus de 10 ans déjà, il manque encore aujourd’hui des procédures de test standardisées, des réglementations appropriées et une réelle volonté politique d’agir. Il faut mettre en place des évaluations des risques indépendantes qui tiennent compte des spécificités biologiques des amphibiens et des mesures de protection efficaces – avant que d’autres espèces ne s’éteignent de manière irréversible.
[1] Karch (2025): Amphibien – Nationale Koordinationsstelle Amphibien
[2] BAFU (2023): Rote Liste der Amphibien
[3] EFSA (2018): Scientific Opinion on the state of the science on pesticide risk assessment for amphibians and reptiles
[4] Oekotoxzentrum (2015): Amphibien und Pflanzenschutzmittel – mehr Informationen sind gefragt
[5] Karch (2025): Wo und wann können Amphibien beobachtet werden?
[6] Glaberman, Kiwiet and Aubee (2019): Evaluating the role of fish as surrogates for amphibians in pesticide ecological risk assessment
[7] Weltje, Simpson, Gross, Crane and Wheeler (2013) : Comparative acute and chronic sensitivity of fish and amphibians: a critical review of data
[8] Adams (2021): Pesticide effects on German amphibians and consequences for their risk assessment in the European Union
[9] Lenhardt (2018): Amphibians in the agricultural landscape
[10] Swissinfo (2020): Bundesrat verschärft Exportbedingungen für Pflanzenschutzmittel
[11] Pesticide Action Network Europe (2024): The EU drags its feet on addressing water pollution
[12] Hayes (2004): There is no denying this: defusing the confusion about atrazine.