De nouvelles opportunités pour les pollinisateurs : focus sur l’agriculture régénératrice

En Suisse, l'agriculture conventionnelle a contribué au déclin des populations et de la diversité des insectes pollinisateurs.
En particulier, l'uniformisation des structures paysagères ainsi que l'utilisation de poisons environnementaux tels que les engrais et les pesticides mettent en danger les insectes pollinisateurs (voir les articles de blog « Exode rural des insectes - Les villes, hotspot de la biodiversité ? & « Pollinisateurs - de minuscules héros en danger »). Mais comment l'agriculture régénératrice peut-elle lutter contre le déclin de la biodiversité et favoriser les populations de pollinisateurs ?
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In der regenerativen Landwirtschaft steht der Boden im Mittelpunkt. Bild @pixabay

L'essentiel en bref:

  • L’objectif de l’agriculture régénératrice est d’obtenir une fertilité élevée du sol grâce à la formation d’humus.
  • Pour ce faire, on utilise notamment des sous-semis et des cultures intermédiaires, ce qui augmente la diversité des plantes et offre ainsi aux pollinisateurs une source de nourriture continue.
  • L’amélioration de la fertilité du sol se traduit par des plantes plus résilientes et donc plus saines. Cela permet ensuite de réduire l’utilisation de pesticides.
  • Contrairement à l’agriculture biologique, l’agriculture régénératrice n’est pas clairement définie ni réglementée par une labellisation, ce qui présente à la fois des opportunités (moins d’obstacles à l’entrée pour les agriculteurs et agricultrices) et des risques (greenwashing).

L’association SansPoison demande :

Les principes de l’agriculture régénératrice doivent être systématiquement associés à des directives claires pour une protection des plantes respectueuse de l’environnement, qui renonce totalement à l’utilisation de pesticides chimiques de synthèse. Ce n’est qu’ainsi que l’agriculture régénératrice pourra répondre à son ambition d’augmenter la fertilité des sols et la biodiversité.

L’agriculture régénératrice ne doit pas seulement être un terme de marketing pour les entreprises qui, grâce à certaines méthodes de production, « greenwashent » l’utilisation de poisons environnementaux comme le glyphosate. Au contraire, les principes de l’agriculture régénératrice doivent être réellement vécus par les agriculteurs et agricultrices.

Qu’est-ce que l’agriculture régénératrice ?

En tant qu’alternative à l’agriculture conventionnelle et à ses conséquences négatives sur l’environnement, l’agriculture régénératrice gagne de plus en plus en importance – y compris en Suisse.
Cette forme d’exploitation place le sol au centre des priorités : l’objectif est d’améliorer constamment la fertilité du sol ou de régénérer les sols dégradés.[1] Pour les agriculteurs et agricultrices qui pratiquent des cultures régénératives, un sol sain est la réponse à la crise climatique ou à la perte de biodiversité.
Il n’existe actuellement pas de définition unique de l’agriculture régénératrice.

Agriculture biologique et régénératrice : focus sur deux approches

L’agriculture biologique et l’agriculture régénératrice ont des objectifs et des pratiques similaires, mais elles ont des priorités légèrement différentes.
Les pratiques de l’agriculture régénératrice privilégient l’augmentation de la fertilité du sol grâce à une formation ciblée de l’humus.
L’agriculture biologique vise également à préserver et à promouvoir la fertilité des sols à long terme.
Toutefois, l’agriculture biologique est définie de manière plus large et poursuit l’objectif général d’assurer une production durable avec un impact minimal sur l’environnement.
De plus, en Suisse, l’agriculture biologique est réglementée par la loi et impose des exigences minimales strictes – comme le renoncement aux pesticides chimiques de synthèse et aux engrais minéraux -, alors qu’il n’existe pas de directives ou de certifications contraignantes pour l’agriculture régénératrice.
La définition ouverte de l’agriculture régénératrice permet aux agriculteurs et agricultrices de mettre en œuvre les principes régénérateurs de manière individuelle, sans devoir se conformer à des normes fixes.
Cela peut aider les agriculteurs et agricultrices conventionnels à se lancer.
Le risque de greenwashing est toutefois appréhendé de manière critique : En l’absence de définitions claires, des mesures minimales peuvent être présentées comme des solutions globales aux défis du changement climatique ou du déclin de la biodiversité.
Les poisons environnementaux peuvent continuer à être utilisés[2], comme l’illustre la société Bayer qui, l’année dernière en Espagne, a fait la promotion de l’herbicide glyphosate comme un outil important pour l’agriculture régénératrice, car il pourrait faciliter le semis direct.
Cela a suscité des critiques de la part des agriculteurs et agricultrices espagnols qui pratiquent l’agriculture régénératrice et rejettent catégoriquement l’utilisation de produits toxiques pour l’environnement : ils reprochent à juste titre à Bayer d’utiliser ce terme pour faire du greenwashing.
[3]

En Suisse, les deux organisations « Agricultura Regeneratio “ et ” Regenerativ Schweiz » promeuvent l’agriculture régénératrice et se fondent sur cinq principes:[4]

  1. Promotion de la biodiversité dans et au-dessus du sol
  2. Dégradation minimale du sol
  3. Des sols avec des systèmes racinaires permanents
  4. Couverture de sol permanente
  5. Intégration des animaux

Ces principes visent à protéger les fonctions du sol. Parmi les pratiques de base de l’agriculture régénérative, on trouve
[5]

  • Semis direct : on renonce à travailler le sol afin de protéger les organismes du sol comme les vers de terre, de préserver la fertilité naturelle et de réduire le besoin d’engrais artificiels.
  • Les sous-semis : Pour une meilleure couverture du sol, d’autres cultures sont semées en plus de la culture principale, comme par exemple la caméline ou des mélanges de trèfles. Lorsque la culture principale est récoltée, le sous-semis reste en place et continue ainsi à couvrir le sol.
    [6]
  • Cultures mixtes : la culture simultanée de différentes espèces de plantes utiles sur une même surface, comme les légumineuses à grains avec des céréales, favorise la santé du sol, supprime les mauvaises herbes et augmente la teneur en nutriments du sol.[7]
  • Cultures intermédiaires : après la récolte de la culture principale, différentes espèces végétales sont cultivées sur la surface qui serait autrement laissée en friche. Cela permet de protéger le sol de l’érosion et d’accumuler de la matière organique. Quelques exemples de cultures intermédiaires sont le sarrasin, différentes espèces de trèfle ainsi que des graminées.

L’un des objectifs clés de l’agriculture régénérative et de ses pratiques est la constitution d’humus afin d’atteindre une fertilité élevée du sol.[8] Il existe d’autres pratiques qui sont importantes à cet égard dans l’agriculture régénérative et qui nécessitent un certain savoir-faire : L’intégration de l’élevage dans la production végétale, la plantation d’arbres et de haies sur les terres cultivées ou l’utilisation de charbon végétal biologiquement activé en font notamment partie.[5]

Exemples en Suisse

Le nombre de fermes pratiquant la production régénérative en Suisse n’est pas connu. Le site web de Regenerativ Schweiz propose toutefois une carte qui donne un aperçu des exploitations régénératives.[9] En outre, environ 120 exploitations sont membres de l’association « Agricultura Regeneratio ».
[10] L’exploitation bio de Daniela et Lukas Rediger à Binningen en est un exemple.
Depuis 2019, ils ont opté pour l’agriculture régénérative.
Ils plantent du blé, des plantes fourragères pour leurs animaux et des cultures spéciales comme l’asperge verte.
Pour que le sol soit toujours couvert dans la mesure du possible, ils utilisent des sous-semis, comme le trèfle et la caméline, et une culture intermédiaire.
Un autre exemple est l’exploitation bio d’Urs Grüter à Urswil.
Depuis 2020, il cultive selon les pratiques de l’agriculture régénérative.
Son système de rotation des cultures comprend du maïs grain, de l’épeautre, du blé et enfin de l’herbe, qui sert de pâturage à la production de viande bovine.
Dans la rotation des cultures, l’herbe assure une régénération optimale du sol. Ces méthodes lui permettent de maintenir la fertilité du sol et de se passer en grande partie d’engrais.
[11]

Avantages pour les pollinisateurs

Les pratiques agricoles régénératives présentent certains avantages pour les pollinisateurs par rapport à l’agriculture conventionnelle: [12],[13]

  • Plus de diversité végétale : les sous-semis et les cultures intermédiaires augmentent la diversité végétale, ce qui permet aux pollinisateurs de trouver suffisamment de pollen et de nectar même après la récolte de la culture principale.
  • Augmentation de la diversité structurelle : l’intégration de haies et d’arbres dans les cultures et les prairies augmente la diversité structurelle du paysage[5], ce qui favorise les pollinisateurs et renforce la lutte naturelle contre les ravageurs, ce qui rend l’utilisation d’insecticides superflue et protège les populations de pollinisateurs.
    [14]
  • Moins de travail du sol : une étude montre que le labour peut avoir un impact négatif sur la biodiversité et les services de pollinisation en perturbant la structure du sol et en détruisant ainsi les habitats des pollinisateurs.
    Les systèmes qui réduisent le travail du sol, comme le semis direct, créent des habitats plus stables et peuvent donc avoir un impact positif sur les pollinisateurs.
    [15]
  • Moins de produits toxiques pour l’environnement : l’utilisation de produits toxiques pour l’environnement est gérée différemment dans l’agriculture régénérative. Cependant, dans l’ensemble, elle vise à réduire au minimum l’utilisation d’intrants externes tels que les engrais et les pesticides en favorisant la formation d’un sol sain. Cette approche, associée à l’utilisation d’intrants organiques, renforce également la lutte naturelle contre les parasites.

Conclusion

L’agriculture régénérative offre une alternative prometteuse à l’agriculture conventionnelle, en renforçant à la fois la fertilité des sols et les populations de pollinisateurs grâce à différentes pratiques.
Elle favorise la biodiversité, réduit l’utilisation de produits toxiques pour l’environnement et permet aux agriculteurs et agricultrices de s’adapter aux conditions locales.
Mais l’absence de réglementation comporte aussi des risques.
C’est pourquoi la combinaison des pratiques de l’agriculture biologique avec des approches de régénération de l’humus est particulièrement prometteuse et devrait être davantage envisagée et encouragée.


[1] Von Koerber (2018): Definition Regenerative Landwirtschaft Ansätze, Verfahren, Initiativen

[2] FiBL Podcast (2024): Podcast: Was ist eigentlich regenerative Landwirtschaft?

[3] SustainableViews (2023): Bayer accused of greenwashing over ‘regenerative agriculture’ claims

[4] Regenerativ Schweiz (2019): Regenerative Landwirtschaft

[5] Kurth et al. (2023): Der Weg zu regenerativer Landwirtschaft in Deutschland – und darüber hinaus

[6] bio-familia (2024): Gesunde Böden dank regenerativer Landwirtschaft

[7] FiBL (2021): Biologischer Landbau

[8] Koll (2022): Kann regenerative Landwirtschaft ertragreicher sein als konventionelle Landwirtschaft? Blog ZHAW

[9] Regenerativ Schweiz (2019): Wo finde ich regenerative Betriebe?

[10] Agricultura Regeneratio (2021): Projekte

[11] SRF (2022): Regenerative Landwirtschaft: Thurgauer Grossbetrieb probierts aus

[12] Netzwerk blühende Landschaft: Insektenfreundliche Untersaaten

[13] Michels (2022): Regenerative Agriculture Effects on Invertebrate And Bird Communities And Insect-Provided Ecosystem Services

[14] Albrecht et al. (2020): Blühstreifen und Hecken – gut gegen Schädlinge und für Bestäubung und Ertrag? Agrarforschung Schweiz

[15] Rowen et al. (2020) : Is tillage beneficial or detrimental for insect and slug management ?

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