L’association SansPoison demande :
Le changement climatique rend encore plus urgentes les mesures de protection et de promotion des insectes pollinisateurs. Des surfaces de biodiversité suffisantes doivent aménagées sur l’ensemble du territoire, notamment sur les terres agricoles. Les pesticides doivent être appliqués avec soin, de manière ciblée et avec des quantités de substances actives nettement plus faibles.
Dans la première partie, nous avons examiné les effets immédiats du réchauffement climatique sur les insectes pollinisateurs et leurs plantes à fleurs. Par exemple, le fait qu’il soit plus difficile pour les pollinisateurs de trouver les plantes, car les changements d’habitats des deux types d’êtres vivants ne se font ni aux mêmes endroits, ni à la même vitesse lorsque les températures augmentent. Mais le changement climatique peut aussi perturber la pollinisation de manière indirecte : en favorisant les espèces invasives, en évinçant les espèces existantes et en augmentant l’utilisation de pesticides (figure 2).
Les néophytes envahissantes peuvent évincer les espèces existantes
Si des néophytes, c’est-à-dire de nouvelles espèces végétales, sont introduites en Suisse, elles peuvent s’y installer en fonction des conditions climatiques, géologiques et biologiques locales (à droite sur la figure 2). Si ces nouvelles espèces se répandent de façon importante et présentent donc un caractère invasif (voir encadré orange « Néophytes et néozoaires envahissants »), cela peut devenir un problème pour les écosystèmes existants.
Le changement climatique favorise l’implantation et la propagation de nouvelles espèces, qui sont plus aptes à faire face à des conditions environnementales changeantes.[1] En outre, des températures plus élevées offrent des habitats à des espèces originaires de régions plus chaudes.[2] La température moyenne mondiale a augmenté de 1,3 °C depuis l’époque préindustrielle (1871-1900) ; en Suisse, l’augmentation de la température atteint même 2,8 °C.[3] C’est pourquoi on s’attend à une nouvelle augmentation des néophytes envahissantes dans les années à venir.[4]
Des études[5] ont montré que les néophytes envahissantes peuvent évincer les espèces végétales existantes et réduire la diversité de plantes à fleurs. Certes, l’offre en plantes à fleurs peut être temporairement élargie par les espèces envahissantes, mais les ressources florales importantes évincées peuvent manquer au cours de l’année saisonnière.
D’éventuels effets positifs d’une augmentation temporaire de l’offre florale sont spécifiques à chaque espèce, c’est-à-dire que certains groupes d’insectes (p. ex. les syrphes, les abeilles mellifères) en profitent davantage que d’autres (p. ex. les abeilles sauvages). En outre, le pollen et le nectar des néophytes sont souvent d’une qualité différente de la flore existante, de sorte que la santé des insectes pollinisateurs peut être affectée et leur comportement perturbé lorsqu’ils se nourrissent de néophytes. [6]
Parallèlement, les insectes pollinisateurs contribuent à leur tour à la propagation d’espèces végétales envahissantes. Par exemple, les bourdons ont nettement favorisé la propagation de l’impatiente glanduleuse (Impatiens glandulifera), une néophyte envahissante originaire de l’Himalaya.[6],[7] En résumé, l’impact des plantes envahissantes sur la pollinisation est complexe et l’on peut s’attendre à des effets à la fois positifs et négatifs.
Néophytes et néozoaires envahissants
Néophyte (« neos » (grec) = nouveau, « phyton » (grec) = plante) : Une plante nouvellement apparue dans un écosystème après 1492 (découverte de l’Amérique) et capable de survivre sans aide humaine.
[8]
Néozoaire (« neos » (grec) = nouveau, « zoon » (grec) = animal) : Animal introduit après 1492 (découverte de l’Amérique) et capable de survivre sans aide humaine.[9]
Envahissant = un organisme envahissant se propage rapidement et a un fort potentiel de nuisance. Tant les nouvelles espèces que les espèces indigènes (présentes depuis longtemps) peuvent être envahissantes.8
Les néophytes envahissantes en chiffres : Environ 56’000 espèces de plantes, d’animaux et de champignons sont recensées en Suisse. [10] 750 des 4’000 espèces végétales estimées sont des néophytes, dont 88 sont considérées comme envahissantes.8 Environ 90% des néophytes sont intégrées dans notre environnement et enrichissent la flore (p. ex. le marronnier d’Inde ou la petite balsamine).
[11]
Les nouveaux insectes envahissants peuvent concurrencer et évincer les espèces existantes.
Comme pour les plantes, on s’attend à ce que le nombre de nouvelles espèces d’insectes augmente, favorisé par le changement climatique.[12] Dans ce contexte, les nouveaux insectes peuvent menacer la pollinisation de deux manières (au centre de la figure 2) : D’une part, de nouvelles espèces d’insectes peuvent polliniser les néophytes, contribuant ainsi à leur propagation et évinçant les espèces végétales existantes. D’autre part, les nouveaux insectes concurrencent ou évincent les pollinisateurs existants.[13] Dans ce contexte, l’efficacité du butinage de fleurs serait réduite pour les nouveaux insectes pollinisateurs, mais les fleurs butinées plus souvent.[14]
Un exemple de concurrence et d’éviction sont les espèces d’abeilles mellifères qui ont été intentionnellement élevées et introduites. Ainsi, l’abeille noire (Apis mellifera mellifera), autrefois très répandue, est de moins en moins présente en Suisse. A cela s’ajoute le fait que l’abeille noire peut s’accoupler avec les espèces élevées et introduites, ce qui peut donner naissance à des génomes mixtes et mal adaptés. [15]
Un autre exemple est le frelon asiatique (Vespa vetulina, voir figure 1). Le frelon asiatique est originaire d’Asie du Sud-Est et chasse divers insectes pollinisateurs pour nourrir ses larves, notamment des abeilles domestiques, des abeilles sauvages, des guêpes, des mouches et des papillons. [16] Les systèmes de pollinisation existants souffrent des activités de prédation du frelon asiatique. On a observé une diminution de la fréquence des visites de fleurs et une réduction des populations de pollinisateurs en présence du frelon asiatique. [17] Certes, le frelon asiatique est également un pollinisateur, mais sa capacité de pollinisation est inférieure à celle des espèces qu’il supplante. [18] Des études supplémentaires sont nécessaires pour pouvoir établir des prévisions précises en matière de pollinisation. Les connaissances acquises jusqu’à présent permettent toutefois de conclure que la pollinisation souffrira de la propagation du frelon asiatique.
Encore plus de pesticides à cause du changement climatique
Les sécheresses, les fortes précipitations et autres phénomènes météorologiques extrêmes augmentent les risques de bas rendement dans l’agriculture, ce qui tend à accroître l’utilisation de pesticides (à gauche sur la figure 2). Or, de nombreux pesticides sont hautement toxiques pour les insectes pollinisateurs[19] c’est pourquoi une utilisation accrue met en danger les populations de pollinisateurs. Mais pourquoi s’attend-on exactement à une augmentation de l’utilisation des pesticides ? [20]
- Les pesticides se dispersent plus rapidement à des températures plus élevées. Une plus grande dispersion dans l’environnement aurait pour conséquence de faire augmenter les quantités d’utilisation pour compenser les pertes.
- Dans le sol également, des températures élevées entraînent une dégradation plus rapide des produits chimiques. La durée d’action plus courte pourrait être également compensée par une utilisation plus importante.
- Une augmentation de la fréquence des fortes précipitations entraîne un lessivage plus important des pesticides, qui se retrouvent alors dans les écosystèmes environnants non visés par l’application.
- Les pesticides, en particulier les insecticides, sont utilisés plus fréquemment en réponse à la pression croissante exercée par les organismes nuisibles. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les organismes nuisibles vont augmenter dans l’agriculture à l’avenir :
- Des températures plus élevées favorisent un développement plus rapide des insectes et entraînent donc un plus grand nombre de générations d’insectes par an.
- Des températures plus chaudes stimulent le métabolisme. Les insectes doivent donc manger davantage, ce qui entraîne des dégâts plus importants sur les cultures.
- Des hivers plus doux réduisent le taux de mortalité des insectes en hiver.
- Le changement climatique favorise l’implantation de nouvelles espèces, dont certaines sont susceptibles de nuire aux cultures agricoles (exemple du scarabée du Japon).
- Le changement climatique peut affaiblir les défenses des plantes. Elles deviennent plus sensibles aux maladies et aux attaques de ravageurs.
- Des températures plus élevées favorisent un développement plus rapide des insectes et entraînent donc un plus grand nombre de générations d’insectes par an.
Plus de pesticides signifie notamment plus de substances toxiques – sur les aliments, dans l’air et dans l’eau (potable) – qui sont également potentiellement nocives pour nous, les humains.
Conclusion
- Même s’il est difficile de faire des prévisions, car les systèmes de pollinisation sont complexes et les facteurs d’influence nombreux, il est à craindre que la pollinisation soit encore plus menacée par les conséquences indirectes du changement climatique.
- Parmi les conséquences indirectes, on peut citer la concurrence et le remplacement des espèces existantes par des néophytes et des néozoaires envahissants, ainsi qu’une utilisation accrue de pesticides.
- Pour assurer la pollinisation, il est encore plus urgent de prendre des mesures pour protéger et encourager les insectes pollinisateurs. Des surfaces de biodiversité suffisantes doivent être aménagées sur l’ensemble du territoire, notamment sur les terres arables. Les pesticides doivent être appliqués avec soin, de manière ciblée et avec des quantités de substances actives nettement plus faibles.
[1] Turbelin & Catford (2021): Chapter 25 – Invasive plants and climate change.
[2] Essl et al. (2020): Drivers of future alien species impacts: An expert-based assessment.
[3] MetoSchweiz: Klimawandel. (6.11.2024)
[4] Seebens et al. (2020): Projecting the continental accumulation of alien species through to 2050.
[5] Z.B. Kovács-Hostyánszki et al. (2022): Threats and benefits of invasive alien plant species on pollinators. oder Morales et al. (2017) . Disruption of Pollination Services by Invasive Pollinator Species.
[6] Stout & Tiedeken (2017): Direct interactions between invasive plants and native pollinators: evidence, impacts and approaches.
[7] Info Flora (2022): Liste der invasiven gebietsfremden Arten.
[8] Info Flora: Invasive Neophyten. (27.10.2024)
[9] Info Fauna: Neozoa (gebietsfremde Tierarten). (27.10.2024)
[10] BAFU (2023): Artenvielfalt in der Schweiz. (05.11.2024)
[11] Neophyt.ch (2023): Invasive Neophyten. (05.11.2024)
[12] Pour l’exemple du frelon asiatique : Barbet-Massin et al. (2013): Climate change increases the risk of invasion by the Yellow-legged hornet.
[13] Kremen & Ricketts (2000): Global Perspectives on Pollination Disruptions.
[14] Debnam et al (2021): Exotic insect pollinators and native pollination systems.
[15] Parejo, Dietemann & Praz (2021): Der Status freilebender Völker der Dunklen Honigbiene (Apis mellifera mellifera) in der Schweiz – Literatursynthese und Expertenempfehlungen.
[16] Arbeitsgruppe Asiatische Hornisse (2024): Asiatische Hornisse (Vespa velutina) Empfehlungen.
[17] Rojas-Nossa & Calvino-Cancela (2020): The invasive hornet Vespa velutina affects pollination of a wild plant through changes in abundance and behaviour of floral visitors. und Chen et al (2019): The flip side of the coin: ecological function of the bee-hawking Asian hornet.
[18] Rojas-Nossa et al (2023): Predator and pollinator? An invasive hornet alters the pollination dynamics of a native plant.
[19] Reshi et al. (2024): Pesticide Pollution: Potential Risk to Insect Pollinators and Possible Management Strategies.
[20] Pesticide Action Network UK (2023): Pesticides and the Climate Crisis: A Vicious Cycle.