Dans le lisier et l’abondance

La saison du lisier est ouverte en Suisse. Les fosses de notre pays sont pleines. Mais c'est justement la quantité excessive qui fait de cet engrais naturel un danger pour l'homme et l'environnement: trop grande quantité, trop pathogène, trop toxique.
mai 7, 2022
Georg Odermatt

Les agriculteurs et agricultrices le décrivent comme un «engrais naturel». Les spécialistes de l’environnement comme un poison pour la biodiversité, la vie aquatique et l’homme. Le lisier, un mélange d’excréments et d’urine d’animaux de ferme comme le porc, le bœuf ou la volaille, contient des nutriments essentiels pour les plantes: azote, potassium, phosphore, magnésium, fer et bore. «Un engrais précieux qui nous évite la faim», aurait dit une paysanne du 19e siècle. «Un déchet», qui empoisonne notre nature et nuit à notre santé, disent aujourd’hui les organisations environnementales.

Beaucoup trop d’animaux, beaucoup trop d’importations de fourrage

La différence entre ces deux déclarations est due à deux raisons: Nous élevons en Suisse beaucoup trop d’animaux dont nous importons 60% des aliments concentrés – et pour lesquels, notons-le, 200’000 hectares de terres arables sont intensivement fertilisés et traités avec des pesticides à l’étranger[1]. Comme l’agriculture suisse est avant tout spécialisée dans l’élevage, nous «transformons» ici le fourrage importé en viande, lait et œufs. Le nombre élevé d’animaux produit bien plus de lisier qu’une ferme ne peut utiliser dans ses cultures. L’agriculteur doit toutefois se débarrasser de ce surplus de lisier – et l’évacue dans les champs et les cultures. Mais les déjections des nombreux animaux se retrouvent sur des sols qui reçoivent souvent déjà beaucoup d’engrais artificiels. Résultat: Notre sol agricole est presque partout massivement surfertilisé, par exemple en azote. Le bilan de la Confédération pour l’année 2019 montre que l’apport d’azote a représenté 117% des besoins! En chiffres absolus, 13’689 tonnes d’azote ont donc été épandues en trop. Un peu plus de la moitié de cette quantité provenait de l’élevage[2]. L’azote excédentaire s’infiltre dans les cours d’eau et les nappes phréatiques. Et leur teneur en nitrates augmente. Dans les régions à vocation agricole, les concentrations de nitrates dans les eaux souterraines dépassent la valeur limite dans plus de 40% des points de mesure[3]. Pour garantir la qualité de l’eau potable, les usines d’eau doivent prendre des contre-mesures coûteuses. Jusqu’à présent, c’est la collectivité qui en supporte les coûts.

Les hommes doivent prendre garde!

Outre la surfertilisation de l’environnement, l’excès d’excréments animaux est également dangereux pour l’homme: d’une part, les émissions d’ammoniac provenant de l’élevage et transportées par l’air provoquent des irritations des yeux et des muqueuses et peuvent entraîner des problèmes pulmonaires, voire pire, en cas d’exposition plus importante[4]. D’autre part, l’utilisation généralisée d’antibiotiques dans l’élevage d’animaux de rente entraîne le développement de résistances bactériennes. Lorsque les agriculteurs épandent du lisier, ils veillent à ce que les germes résistants ne restent pas dans l’étable ou la fosse à lisier, mais qu’ils les dispersent sur une grande surface. Malheureusement, les antibiotiques ne peuvent plus rien contre ces bactéries que l’homme absorbe par la chaîne alimentaire ou même par l’air. Dans ce contexte, on parle déjà de 1,2 million de décès dans le monde en 2019[5]. Avec chaque résistance, le risque de perdre l’arme la plus importante dans la lutte contre de nombreuses maladies infectieuses dangereuses, augmente. Et avec chaque germe résistant qui se retrouve entre autres avec le lisier dans les champs et donc dans l’environnement, le risque que des personnes soient infectées par ce germe et que ces infections soient difficiles à traiter, augmente. En Allemagne, un laboratoire indépendant a trouvé en 2020 des germes résistants aux antibiotiques dans douze des quinze échantillons de lisier prélevés dans des exploitations agricoles[6].

[1] cf. à ce sujet: Priska Baur, Patricia Krayer, Schweizer Futtermittelimporte – Entwicklung, Hintergründe, Folgen, Wädenswil/ZHAW, 2021

[2] https://www.agrarbericht.ch/fr/politique/paiements-directs/solde-du-bilan-azote-dans-un-suisse-bilanz-sectoriel

[3] https://www.bafu.admin.ch/bafu/fr/home/themes/eaux/info-specialistes/etat-des-eaux/etat-des-eaux-souterraines/eaux-souterraines–qualite/nitrates-dans-les-eaux-souterraines.html

[4] https://www.lunge-zuerich.ch/lunge-luft/luft/aussenluft/luftschadstoffe/ammoniak

[5] https://www.forschung-und-lehre.de/forschung/millionen-todesfaelle-infolge-von-antibiotika-resistenzen-4360

[6] https://www.greenpeace.de/biodiversitaet/landwirtschaft/tierhaltung/gefaehrliche-keime-guelle

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