Trifluoracétate – dans notre eau potable?

L’association sansPoison trouve dans l’eau potable suisse une substance qui ne disparaît pas: quels effets attendre à long terme? Pour le moment, cela reste un mystère pour les autorités. Une grande partie provient probablement de pesticides largement utilisés par notre agriculture.
mai 18, 2021
Georg Odermatt

Le trifluoracétate (TFA) est le produit de dégradation final de substances synthétisées de manière artificielle et que l’on utilise en tant que réfrigérant pour des systèmes de climatisation, dans des pesticides et des médicaments. TFA est un «forever-chemical», ce qui signifie: il ne se dégrade ni dans l’environnement, ni dans les organismes. Les enfants de nos enfants pourront encore mesurer le TFA dans l’eau dans des milliers d’années.

Aujourd’hui, on ne peut que faire des suppositions sur le véritable danger que représente le TFA pour les hommes et l’environnement: il n’existe encore aucune étude sur la question de savoir si le TFA est cancérogène à long terme, ou s’il agit sur nous si nous en buvons de petites quantités durant des années. Le TFA influence notre système nerveux central[1]: mais comme un effet toxique n’apparaît qu’à une certaine dose, l’agence fédérale allemande de l’environnement a par exemple fixé une valeur cible de maximum 10 microgrammes de TFA par litre d’eau potable[2]. Quelle que soit la toxicité du TFA, il est indésirable, car il se répand dans l’ensemble du cycle hydrologique et s’accumule dans les eaux et eaux souterraines et les sols. On ignore également comme le TFA interagit dans un cocktail avec d’autres polluants environnementaux.

L’association sansPoison a voulu savoir d’où provient le TFA de notre eau potable et a ainsi fait analyser une sélection de neuf échantillons d’eau par le centre de technologie allemand pour l’eau DVGW à Karlsruhe (D). Les résultats sont les suivants:

Site d’échantillonnageTrifluoracétate ( µg/l)
1. Lac de Bienne à Bienne0,41
2. Eau potable de Bienne0,45
3. Lac de Morat à Morat0,91
4. Eau potable de Morat0,80
5. Lac de Zurich0,25
6. Eau potable de la ville de Zurich0,25
7. Lac de Hallwil à Birrwil (AG)0,54
8. Eau potable de Birrwil (captage Ländern)0,67
9. Limmat, Schlieren, 2 km après l’usine de traitement des eaux usées de Werdhölzli Zurich0,33

Les concentrations de TFA dans l’eau potable provenant des lacs de Zurich, Bienne et Morat correspondent aux concentrations dans les lacs respectifs (échantillons 1 à 6). En ces lieux, c’est l’eau des lacs qui contient du TFA qui est directement traitée pour obtenir de l’eau potable. Les procédés de traitement des usines suisses de traitement des eaux des lacs sont impuissants contre le TFA. Roman Wiget, expert en eau potable et Président de l’association de l’eau potable AWBR prévient: «On ne connaît actuellement aucune méthode permettant d’éliminer le TFA du cycle de l’eau par des moyens proportionnés, c’est-à-dire sans dépenses techniques et financières très élevées. La substance concerne particulièrement les utilisateurs et utilisatrices d’eau potable qui provient de l’eau traitée des lacs.» L’eau potable de Birrwil, qui ne provient pas du Lac de Hallwyl mais d’un captage d’eau potable, est également polluée par le TFA (échantillon 8). La population touchée ne reçoit aucune information sur le TFA.

D’où provient le TFA? À la recherche de traces

Des systèmes de climatisation de voiture qui fuient et libèrent du TFA dans l’air peuvent être à l’origine de TFA dans l’environnement. Avec les précipitations, le TFA persistant pénètre dans les sols et les eaux. Cependant, les faibles valeurs du Lac de Zurich (0,25 µg/l) indiquent que cet apport est faible en Suisse.

L’apport des médicaments (comme la sitagliptine, un antidiabétique couramment utilisé) et de sources industrielles de la ville de Zurich semble être limité car l’eau de la Limmat après l’arrivée des eaux traitées par la station d’épuration des eaux usées Werdhölzli n’est que légèrement plus polluée que celle du Lac de Zurich et l’eau potable (plus 0,07 µg/l, échantillon 9). L’usine de traitement des eaux usées Werdhölzli traite les eaux usées d’un demi-million de personnes. À la fin du processus, elles sont traitées avec de l’ozone. Cela libère le TFA qui était encore lié à des molécules complexes, et le rend alors mesurable. Si l’apport des médicaments et de l’industrie était significatif, l’eau de la Limmat contiendrait bien plus de TFA.

Les pesticides utilisés en agriculture restent donc la source principale de TFA dans nous eaux. Actuellement, 25 substances actives de pesticides sont homologuées qui forment du TFA en se dégradant. Leur volume des ventes annuel s’élève à environ 32 000 kilogrammes. Les résultats des mesures (échantillons 1 à 8) confirment que les pesticides sont les principaux responsables de la pollution au TFA: la concentration la plus basse dans le Lac de Zurich (0,25 µg/l) peut ainsi s’expliquer par le bassin versant hydrologique qui se situe en grande partie dans la région de collines des Préalpes avec de la production fourragère sans utilisation de pesticides. Par contre, une grande partie de l’eau des lacs de Bienne, Morat et Hallwyl et de la source d’eau souterraine « Ländern » de Birrwil, qui est jusqu’à 3,5 fois plus polluée par le TFA, provient de zones de grandes cultures où l’on utilise beaucoup de pesticides.

[1] Tipps et al, Trifluoroacetate is an allosteric modulator with selective actions at the glycine receptor, in: Neuropharmacology. 2012 Sep; 63(3), S. 368 ff. (https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3372770/)

[2] https://www.umweltbundesamt.de/sites/default/files/medien/362/dokumente/2020_10_20_uba_einordnung_tfa_leitwert.pdf

Que faire?

Selon le principe de précaution, les concentrations de substances étrangères d’origine humaine dans les eaux souterraines et l’eau potable doivent être maintenues aussi basses que possible car on ne peut pas prévoir les risques et les effets cocktails et/ou à long terme. Les autorités devraient prendre des mesures supplémentaires et mener des recherches intensives sur les effets. Si les résultats de l’association sansPoison sont confirmés, alors les sources de TFA doivent être stoppées. Faute de quoi de plus en plus de TFA va s’accumuler dans les eaux et l’eau potable. Si la substance devait être considérée comme dangereuse à l’avenir, alors il serait trop tard, car de telles substances «forever-chemicals» restent pour toujours. Un blocage de telles sources n’est pas exigé que par le seul principe de précaution, mais également par la Loi fédérale sur la réduction des risques liés à l’utilisation de pesticides adoptée par le Parlement le 19 mars 2021. C’est pourquoi tous les pesticides qui entraînent des concentrations de TFA dans les eaux devraient être interdits le plus rapidement possible.

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