Maladies professionnelles de nos agricultrices et agriculteurs

Les agricultrices et agriculteurs achètent des pesticides avec un mode d’emploi truffé de mises en garde, car une mauvaise manipulation peut causer des intoxications aiguës avec des problèmes graves, voire la mort. Mais qu’en est-il des effets chroniques sur les personnes qui sont exposées dans leur profession de manière répétée et pendant des années à des pesticides en des quantités pas sévèrement toxiques?
décembre 15, 2020
Anne Berger

Les agricultrices et agriculteurs achètent des pesticides avec un mode d’emploi truffé de mises en garde, car une mauvaise manipulation peut causer des intoxications aiguës avec des problèmes graves, voire la mort. Mais qu’en est-il des effets chroniques sur les personnes qui sont exposées dans leur profession de manière répétée et pendant des années à des pesticides en des quantités pas sévèrement toxiques?

Combat de longue haleine d’un agriculteur français

Le 21 octobre 2020 en France, la Cour de Cassation a définitivement reconnu la responsabilité de Monsanto (aujourd’hui détenu par Bayer) dans l’intoxication d’un agriculteur français par son herbicide Lasso[1], après un combat de longue haleine. Paul François a enfin pu faire reconnaître la responsabilité de Monsanto dans son intoxication après une longue bataille juridique de 13 années. Après avoir inhalé en 2004 des vapeurs de l’herbicide, il avait frôlé la mort et souffre depuis de graves troubles neurologiques, de trous de mémoire, de maux de tête inexpliqués et de troubles du langage.

Maladies professionnelles liées aux pesticides

Paul François est l’un des premiers mais pas le seul agriculteur français atteint dans sa santé et d’autres cas ont déjà été reconnus comme maladies professionnelles ou sont en cours de reconnaissance. En France, la maladie de Parkinson et lymphome malin non hodgkinien sont officiellement reconnus comme maladies professionnelles respectivement depuis 2012 et 2015.
En 2012, une décision de justice sans précédent a même été rendue: l’État français avait été condamné par la justice pour «manquement à une obligation de sécurité ainsi qu’une faute d’imprudence» et a dû indemniser un agriculteur ayant développé un cancer suite à son exposition à des pesticides.
En 2015, l’Institut national français du Cancer parlait de «fortes suspicions sur le rôle des pesticides dans le développement de pathologies chroniques (cancers, troubles neurologiques, troubles de la reproduction), notamment dans le cadre des expositions professionnelles, qui concerneraient entre 1 et 2 millions de personnes en France».
En 2017, la mutuelle de santé des agriculteurs MSA a déclaré que l’utilisation de produits phytosanitaires serait responsable de 2% des maladies professionnelles des agriculteurs.

Maladies professionnelles aussi reconnues en Allemagne

En 2018, une enquête du Dr. Bödeker a été publiée sur les pesticides en tant que cause de maladies professionnelles en Allemagne: depuis 2000, environ 40 cas ont été reconnus en Allemagne en tant que maladies professionnelles dues à l’exposition aux pesticides. Il s’agit notamment de maladies respiratoires obstructives et maladies de la peau. En outre entre 2008 et 2010, quatre maladies de Parkinson ont été reconnues comme « maladies professionnelles similaires » en raison de l’exposition aux pesticides. Les personnes atteintes ont droit à des prestations de l’assurance maladie lorsque la maladie professionnelle est reconnue.

Et en Suisse? Rien…

La Suisse ne parle des coûts sanitaires liés aux pesticides et ne mène pas de recherche à l’échelle nationale à ce sujet. On ne sait rien des cancers professionnels associés aux pesticides. Dans le processus d’homologation des pesticides, les effets à long terme, transgénérationnels, de bioaccumulation, combinés, de toxicité de report, de faibles doses et… et… ne sont pas à l’ordre du jour.

Et pourtant ça bouge…

Les choses bougent lentement, souvent grâce à des mouvements citoyens. En France, l’association Générations Futures rassemble des témoignages d’agriculteurs, leur fournit des informations précieuses et se bat à leurs côtés. En Allemagne, l’association PAN Deutschland a publié une brochure pour informer les agriculteurs de démarches possibles. En Suisse, les initiatives populaires Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse et Pour une eau potable propre empoignent le problème à bras le corps dans le but de réduire l’utilisation de pesticides pour le bien de tous, hommes et environnement.

Solidarité et responsabilité

S’ils ne sont pas visibles en Suisse, les problèmes de santé liés à l’utilisation professionnelle de pesticides ne s’arrêtent par pour autant à nos frontières. Il est temps de faire preuve de solidarité avec les agriculteurs qui travaillent selon les réglementations en vigueur. La Confédération, responsable de la santé publique, a autorisé toutes ces substances toxiques. Il est temps de reconnaître l’ampleur du problème, de prendre nos responsabilités et de créer en Suisse des conditions-cadre nous autorisant à regarder vers l’avenir avec plus de sérénité.

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