L'essentiel en bref:

Personne n’est responsable

600’000 abeilles sont mortes en quelques jours: un insecticide interdit est responsable. Le dernier scandale sur les pesticides est parfait. Le cas du fipronil met en lumière les pratiques douteuses de la Confédération en matière d’autorisation et de contrôle.
octobre 24, 2019
Georg Odermatt

Les analyses de laboratoire ont montré que le fipronil, substance active interdite et hautement toxique pour les hommes et les animaux, a été mélangé à un insecticide avec la substance active très répandue pirimicarbe. Un agriculteur argovien, ne se doutant de rien, l’avait acheté au Landi pour le pulvériser contre des pucerons. Le résultat: la mort immédiate d’abeilles dans la région autour du champ pulvérisé, 24 colonies d’abeilles perdues d’un coup. Ce sont les effets connus. Malheureusement, on peut supposer que des myriades d’autres insectes tels que bourdons, abeilles sauvages, syrphidés, fourmis ou sauterelles sont également morts, parce que personne ne s’en préoccupe habituellement.

Personne ne sait où la substance a pu être encore pulvérisée. Si le problème n’avait pas été rendu visible par la mort des abeilles, ce même agriculteur serait en train de pulvériser aujourd’hui encore le produit dans l’environnement. On peut supposer que ceux qui ont acheté le pirimicarbe l’utiliseront encore, car l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), compétent en la matière, n’a jusqu’à présent pas rendu public l’interdiction d’utilisation. L’OFAG a publié cette dernière dans la Feuille fédérale, mais les agriculteurs la lise rarement.

Dans un premier temps, personne ne s’est senti responsable d’un rappel du pesticide non utilisé. Puis la société Fenaco, une coopérative d’agriculteurs, a rappelé l’insecticide en tant que gestionnaire des points de vente Landi. D’après ses propres données, Fenaco a vendu 1’308 unités de 500 grammes du lot contaminé de pirimicarbe depuis 2017. Pour l’instant, seules 60 unités ont été retournées (< 5% du total).

Qui sait qui est responsable?
L’agriculteur achète au Landi. Landi appartient à Fenaco. Fenaco achète du pirimicarbe à la société Sintagro AG à Langenthal/BE. Celle-ci l’achète simplement par voie de calcul à Sharda Swiss Sarl enregistrée à Zurich. En fait, les livraisons vont directement de la frontière nationale au revendeur de pesticides Sintagro AG à Langenthal. Il n’y aurait de tout façon pas eu de place à Sharda Swiss Sarl à Zurich car il ne s’agit que d’une société boîte aux lettres (voir aussi encadré). Sharda Swiss Sarl est une société filiale à 100% de Sharda Cropchem Limited, le producteur à Mumbai (Inde) du pirimicarbe et probablement aussi du fipronil. D’après ses propres données, Sharda (Mumbai) est «fast growing». Sharda Swiss Sarl a obtenu l’homologation du pesticide auprès de l’OFAG.

Sharda Swiss Sarl est une société boîte aux lettres dont le siège est à Zurich. Elle n’a aucun employé qui fournit de travail important. Le directeur suisse de la société boîte aux lettres, appelons-le Leono Moneymaker, a démissionné après que la contamination par le fipronil a été connue et peu avant que le scandale ne soit publié dans le journal du dimanche 20 octobre 2019. Moneymaker n’était pas un expert, mais il a tout de même demandé et reçu l’autorisation pour Sharda. À côté de sa fonction de directeur de Sharda Swiss Sarl, il a été ou est actif en tant qu’administrateur, directeur ou gérant de 20 autres sociétés suisses avec un large éventail d’activités telles que l’exploitation d’un salon de coiffure, la vente de supports sonores, la restauration, la technologie informatique, la construction ou les investissements financiers, souvent avec des propriétaires étrangers. Tout indique que Monsieur Moneymaker est un homme de paille. Il ne doit presque rien faire. Cependant, Sharda Swiss Sarl détient des autorisations pour une douzaine d’autres pesticides contenant des substances actives très toxiques, comme la cyperméthrine, un insecticide extrêmement dangereux pour les poissons.

Les entreprises étrangères et les sociétés de boîtes aux lettres suisses déposent un grand nombre de demandes d’autorisation
Actuellement, 170 (!) entreprises suisses et étrangères sont enregistrées auprès de la Confédération et ont déposé et reçu des demandes d’homologation de pesticides. Des autorisations ont été accordées pour environ 3’000 produits, dont beaucoup sont très toxiques pour l’homme et la nature.

Comme la Sharda Swiss Sarl, une partie des sociétés en Suisse n’ont qu’une boîte aux lettres et un homme de paille en tant que directeur, et elles sont contrôlées depuis l’étranger. D’autres sont actives directement depuis l’étranger. Un cauchemar pour tous ceux qui voudraient mettre en place un système de contrôle représentatif, même faible. Ces 170 entreprises se disputent le marché suisse des pesticides avec un volume de ventes d’environ 350 millions de francs par an (plus de 6’000 tonnes de pesticides par an, dont des quantités de substances actives représentant environ 2’200 tonnes/an).

L’Office fédéral de l’agriculture garde le silence
Comme mentionné plus haut, l’OFAG a publié une interdiction d’utilisation dans la Feuille fédérale après la divulgation de la contamination, mais n’a pas informé la population. L’OFAG devrait maintenant procéder d’urgence à un rappel public. Mais il reste silencieux.

Honteux: pour obtenir une autorisation (de vente) de pesticides hautement toxiques, il n’est pas nécessaire d’avoir des connaissances techniques en Suisse. Une représentation légale d’un distributeur étranger est suffisante. Récemment, même une étude d’avocat zurichoise renommée a déposé une demande auprès de l’OFAG pour un poison contre les souris. De plus, il est très rare que les pesticides soient contrôlés à l’importation pour détecter des substances étrangères interdites, bien que l’OFAG dispose parfaitement de cette possibilité.
Caution pour les coûts pour la société
En fait, les autorisations pour les pesticides ne devraient être accordées que si les demandeurs disposent dans le pays de personnel avec des connaissances techniques et – disons – qu’ils déposent une caution un demi-million de francs auprès de la Confédération pour chaque demande. Pour les frais de rappel, les coûts de contrôle, le travail des pouvoirs publics, et comme couverture partielle des dommages à l’environnement.

Tous ceux qui en ont envie peuvent nous soutenir. L’avenir est à la transparence.

Sources: 1) Sonntagszeitung du 20 octobre 2019 (en allemand) 2) https://www.psm.admin.ch/de/firmen
3) Registre du commerce 4) www.fenaco.com

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